Une anecdote qui fait référence au démarrage moteur chaud ou froid et surtout au bien fondé du respect des check-lists.

Je suis, en cette année 1980, fraichement lâché en place droite sur Canadair CL215, et, avec mon commandant de bord, nous nous entrainons sur le Rhône au niveau de Port-St-Louis- du- Rhône.

A un moment, nous évoluons à petite vitesse sur l’eau, l'engin étant devenu bateau quand, sur une réduction complète, le moteur droit s'arrête sur un ralenti un peu faible (moteur à pistons en étoile)

Dans un premier temps, cela peut paraitre sans conséquence ; nous flottons normalement et certains penseront qu'il n'y a pas le feu, suffit de relancer !! Erreur !!

Il y a du courant, du vent, et l'amphibie est très peu manoeuvrable sur un seul moteur puisque ne possédant pas de gouvernail comme sur un hydro monomoteur. (Safran) ; il ne faut donc pas s’endormir !! Voyant inexorablement arriver la berge et les conséquences d'un malencontreux échouage, mon pilote s'agite un peu en me demandant de relancer ce maudit moteur le plus vite possible. Etant bien d’accord avec lui, j’exécute !! La pression monte à bord ! Surtout ne pas le noyer et procédure démarrage à chaud impérative.

La berge se rapproche, et mon camarade à le bon goût de ne pas en rajouter, pourtant c’est un ancien qui n’apprécierait pas de se voir en photo le lendemain sur le journal local et moi, un petit nouveau de 40 ans, à ses côtés! Du calme !! La procédure, rien que la procédure !! Magnétos "Off" puis "On" après 3 tours d’hélice, 1/2 ouverture au gaz, la main droite sur la richesse en position étouffoir, les 3 doigts nécessaires de la main gauche sur le panneau supérieur pour activer le vibreur, le démarreur et le 3éme qui habituellement sert à l'injection électrique d’essence mais surtout ne pas y toucher en ce moment ! 1er essai : rien. Le commandant de bord joue au maximum avec le moteur gauche, le vent et le courant, mais nous sommes à quelques dizaines de mètres de la berge qui se rapproche inexorablement.

Combien reste t-il d'eau sous la quille ? Deuxième essai et surtout résister à la tentation d'injecter même si mon 3éme doigt me démange ; je dois absolument rester sur la procédure « moteur chaud » Et puis le doute s'insinue ! Et s'il en manquait finalement des injections ? Pas de panique, encore un essai et on passera à la procédure moteur froid même si je ne suis pas convaincu qu’elle soit bien adaptée. Enfin, le moteur se réveille avec les premières explosions et je peux enfin le maintenir aux injections avant de passer sur riche et réduire tout en le maintenant en vie vers 800 t/mn.

Il est grand temps de revenir vers le milieu du fleuve. La procédure prévue a été, comme souvent, efficace, mais le retour sur Marseille est un peu silencieux. Je me surprends à imaginer la presse se jetant avec voracité sur un évènement aussi peu courant avec une triste photo de la bête échouée sur la berge du Rhône Quant aux conséquences professionnelles ....

Non, finalement, je préfèrerais encore louper un démarrage sur le parking du club, un beau dimanche après-midi, devant un parterre de spectateurs hilares assis devant le bar, avec un Pierrot qui s’agite tout rouge en vociférant !!!

L'amour propre en prendra un coup, mais mon avion ne bougera pas de place!

Plouchart Guy

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