En ce petit matin d’automne l’air est frais mais sec, pas de gelée blanche mais un léger vent du Nord qui fait doucement chanter les peupliers voisins.

Dans la nuit finissante les merles et autre rouge-gorge sont les premiers à donner de la voix. Une nouvelle aube apparaît lorsque le démarreur Viet à air comprimé vient réveiller les 140 CV du Renault qui vont à leur tour animer le Stampe. A l’arrière, alors que l’odeur caractéristique du vénérable avion se disperse dans le vent de l’hélice, le pilote entreprend l’indispensable réchauffage moteur. Casqué de cuir tout comme son compagnon en place avant, il laisse son regard et son esprit vagabonder sur ce petit univers qu’il aime par-dessus tout. Ce vieil hangar d’abord, qui abrite habituellement son trésor ; puis la petite piste, naturellement en herbe, et le club-house, petit et vieillot, naturellement rétif aux nouvelles normes de construction, mais qui fait le bonheur de tous en favorisant cette fraternité indispensable.

Le Club et son bar, objet de toute sa sollicitude, après son avion, naturellement ! Il l’anime souvent, ce lieu de vie, endroit ou se nouent les amitiés, qui se dénouent parfois ou qui ne se nouent jamais. Endroit où se transforment les récits plus ou moins authentiques en légendes qui vont croissant, se déforment, endroit ou parfois la jalousie ou l’envie font tenir de vilains propos mais, finalement, un lieu à l’échelle humaine, où l’on se confronte parfois mais où l’on ne s’ignore ni ne s’insulte jamais !!

L’huile est chaude. En zigzaguant volontairement pour assurer sa progression en sécurité, le Stampe roule doucement vers le point d’arrêt ou ce qui est considéré comme tel par le bon sens, qualité normale d’un pilote, qu’aucune règle ne remplacera jamais. Pas de tour, pas de radio, essai moteur, vérifications rapides mais efficaces, l’avion s’aligne, le pilote libère l’attelage, soleil dans le dos, vent légèrement de droite qui va s’ajouter à l’effet du couple moteur. Mais le pilote à déjà intégré ces futurs effets et quelques corrections précises et rapides au palonnier suffisent. A la mise en ligne de vol , un peu plus d’action à gauche pour contrer l’effet gyroscopique du Renault suffit à verrouiller le capot sur l’axe de piste et le Stampe commence à sautiller sur les petites irrégularités du sol , se régalant de cet air frais porteur que le moteur avale avec délice .

Enfin, la traditionnelle taupinière ne se trouvant pas sur la trajectoire d’une roue, une action discrète sur le manche est nécessaire pour que l’ensemble se retrouve en équilibre dans le ciel, instant toujours chargé d’émotion, si le feu sacré est toujours là, et il l’est dans cet habitacle. Virage à droite de 180 °, l’avion s’éloigne doucement du sol et aucun message ne vient perturber l’harmonie, le compagnon en place avant est silencieux mais regarde dehors et peut-être rêve. Face à l’est, le pilote est gêné par le soleil levant .Il plisse les yeux pour mieux y voir, puis une voix s’insinue progressivement. Une voix ? La radio ? Quelle radio ? Et ce soleil qui le gêne ! Rapidement, la réalité s’impose, sa chambre vient de s’éclairer et la voix, au demeurant agréable, lui annonce qu’il est l’heure et qu’il va être en retard. Brutalement, le futur de la journée s’installe dans son esprit. D’abord le long trajet pour l’aéroport , puis le passage à la MTO , les notams , le plan de vol , le créneau horaire , le briefing avec ses élèves, la prévol dans l’odeur de kérosène des commerciaux matinaux, le problème technique inattendu, la prise de l’Atis , le contact prévol , puis sol ,l’attente due à une séquence d’arrivée , la fréquence tour, puis celle du départ ,du régional , tout en surveillant , corrigeant , expliquant ….

Mais il l’aime cependant ce métier d’aviateur- enseignant. Ce sera sa façon à lui de laisser quelque chose, en espérant transmettre un petit peu plus de ce savoir des choses de l’air que d’autres lui ont transmis, souvent de façon bénévole, ces autres qui, pour certains, ont déjà rejoint le Paradis des Pilotes.

Certains laissent des livres, lui en est incapable et puis, rien de bien original dans son parcours ni dans le travail qu’il fait. Il se surprend à vouloir se rendormir, à rêver de nouveau à cette aviation dépouillée et champêtre, mais fait-on jamais deux rêves identiques ?

Plouchart Guy

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